Réception estivale
La
chaleur moite et assommante de la journée a laissé place à une fraîcheur toute
relative.
Une
douche salvatrice et hop, les corps malmenés par une éprouvante journée sont
apaisés et propres. La fragrance légère d’un parfum d’été, accompagne avec
délicatesse et raffinement, ce petit ensemble en lin blanc que tu portes à
fleur de peau. On roule vitre ouverte pour profiter du petit soir. L’odeur de
paille chaude s’est invitée dans l’habitacle. La lumière se fait plus douce, rasante.
Elle inonde les chaumes fraîchement coupés. Un lièvre téméraire s’y aventure.
Il semble vouloir se réapproprier les lieux après le passage tourmenté de la
giganstrueuse machine à l’appétit dévorant.
Enthousiastes
à l’idée de retrouver nos amis, nous stationnons le multispace dans la cour de
leur jolie bâtisse perdue dans la campagne au milieu d’une végétation dense et
généreuse.
Le
concert que font les cailloux de l’allée sous les roues des voitures semble
terminé. Tout le monde est là ou presque. La réception estivale commence ...
A
mesure que la fraîcheur du soir envahit les lieux, le brouhaha qui émane de la
foule endimanchée se fait de plus en plus sonore. Les murmures, de plus en plus
perceptibles, se transforment tranquillement en conversations rigolardes et
animées.
Qu’importe
le contexte socio culturel : personnel ou pas, ganté de blanc ou pas,
véhicule réfrigéré ou pas, glacières king size, baignoire en fonte, tank à lait
ou bassines en galva, tout ça rempli de pains de glace et de boissons… la nappe
du buffet, en tissu ou en papier, et bien cette nappe messieurs dames, comme
une évidence… elle est toujours… blanche.
Tout
du moins au début…
Qu’importe
l’apéritif maison : planteur, punch compliqué, sangria, kir ou autre
crémant au sirop de gomme, et bien cet apéro, il est toujours apprécié. En ces
soirées d’été, on arrive toujours avec la pépie et le premier verre, quoiqu’un
peu rude en première bouche, est toujours le meilleur même. Delerm a
raison, tous les suivants n’arriveront pas à le faire oublier et à effacer son
souvenir.
Celui-ci
est donc vite avalé. La conversation allant bon train, on n’ose pas se déplacer
vers le bar pour le remettre à niveau. Le précieux récipient en verre ou en
plastique que l’on fait jouer entre nos mains se réchauffe progressivement, il devient
sale et poisseux, quand il ne finit pas, tout simplement, par céder sous les
assauts répétés de pressions impatientes et hasardeuses sur des parois d’un
plastique désespérément cassant et sonore. Alors voilà, arrive donc le moment où
on n’y tient plus et qu’il va falloir retourner vers le bar pour changer de
godet. On se fraye donc un chemin au milieu de la foule parfumée. Au passage,
au gré des convives on hume des vapeurs diverses et variées non sans cueillir à
l’occasion quelques bribes de conversations.
Après-rasage
bon marché… « Ben dis donc il a encore fait chaud aujourd’hui »…Allure
Homme Sport … « Mais évidemment qu’ils sont tous dopés, t’as vu le
nombre de cols qu’ils s’enfilent dans la journée ! » … Lolita
Lempicka… « Nous cet été, on a loué 2 semaines à Saint Raphaël »…Eau
de Cologne Saint Michel ... « T’y as su toi qu’ la Denise
Enfin,
ballotté, secoué comme à la sortie d’une cellule de Fort Boyard, on aperçoit la
nappe blanche qui se rapproche, une délivrance...
Les
piliers sont là, ils ont investi les lieux de bonne heure. Point besoin de
point GPS, ils connaissent l’emplacement exact des plats de petits fours et
leur fréquence de passage. Le buffet n’a plus aucun secret pour eux et leur
verre est toujours plein.
On
esquisse un trait d’humour et le barman vous ressert un verre tout neuf tout en
vous gratifiant d’un sourire policé. Allez on s’y replonge… Eau Jeune… « T’as
vu Nouvelle Star ? Thomas il a été éliminé, ça l’fè tro pa » …Chrome
d’Azzaro… « Il est super bon Ben Zéma, mais il est encore trop jeune, il a
pas la carrure pour aller au Réal »… Eau de Rochas… « J’ai adoré le
dernier Guillaume Musso, comme les autres d’ailleurs »…
Me
revoilà enfin avec mes copains tout près d’un érable pourpre. Nous devisons
gaiement et mon verre s’est rempli encore quelques fois, sans effort, grâce au
dévouement d’un convive motivé mais aussi grâce au passage apprécié des gants
blancs. Je commence à voir trouble sur les côtés et j’ai du mal à effacer ce
sourire niais qui illumine mon visage. Comment peut on être trahi à ce point par
quelques muscles zygomatiques ? Une pause s’impose. Allez hop, un p’tit
pipi dans la nature, tiens là… au pied du sapin. Très pratique pour s’accouder
le sapin, c’est bien d’l’avoir mis là, si si c’est une excellente idée.
Cette
mini ballade, petite bulle d’oxygène, m’a bien retapé pour le deuxième set.
Allez on r’met ça. Mais tiens au fait, qu’est ce que j’ai encore fait de mon
verre ? J’étais sûr de l’avoir posé là. Ah non…il est tombé par terre.
Bon
allez j’y r’tourne……blablabla blablabla…Van Der Bild … blablabla blablabla…Brut
de Fabergé (tiens ça existe encore ça ?)… blablabla blablabla…le barman,
hilare, remet la p’tite sœur dans un verre tout neuf… blablabla blablabla…Yves
Rocher… blablabla blablabla… Prout N°5… blablabla blablabla…
« Ah
te voilà, enfin, ben t’en a mis un temps »…on t’attend pour aller danser.
— Ok ok j’arrive tout de
suite, je vous rejoins.
Cette
fois je vais faire attention, il s’agit de le retrouver, mon verre, après le
quart d’heure New wave. Tiens je vais le poser là sur ce p’tit muret en pierre,
parfait. Tout seul, je peux pas l’rater.
Depeche
Mode, U2, Indochine, Yazoo,… je ne savais pas que c’était une soirée 80’s.
Tiens d’ailleurs, comment ça se dansait à l’époque ? Ah oui voilà, le
teddy… « égaré dans la vallée infernale, le héros s’appelle Bob
Morane… ».
Ca
faisait longtemps qu’on n’avait pas dansé comme ça, waouh ça fait du bien. Je
suis en nage, pff… et qu’est ce qu’il fait soif !
Cette
fois, serein, je suis sûr de retrouver mon godet.
Malheur !
Sur le petit muret, il est égaré au milieu d’une armée de verres abandonnés.
Les troupes ont déserté les lieux, laissant derrière elles un champ de bataille
peu reluisant… gobelets à moitié renversés, mégots de cigarettes détrempés par
des fruits de sangria mâchonnés, quelques serviettes en papier salies et
froissées...
Bon
sang, j’ai encore paumé mon verre…
Alors,
bien que déjà bien entamé, pour la énième fois je me rends vers le bar. La
traversée, bien que chaloupée, est calme et inodore. Vu l’heure tardive les
gants blancs ont abandonné la place.
Evidemment
plus de verre propre, la nappe jadis blanche, ne porte plus que ça et là des
gobelets usagés et quelques bouteilles de rouge entamées, y’a plus d’crémant. Allez,
on rince avec ce qu’on trouve, un fond de jus d’orange, et hop un p’tit coup d’rouge
par-dessus, pour la route, de toute façon, c’est tout ce qui reste.
Quand
on en est là je crois qu’il est temps de prendre congé de nos convives. Les
salutations faites, nous repartons vers la voiture. Toi les longs cheveux
défaits, les escarpins dans une main, la mienne dans l’autre, moi la chemise
froissée et à moitié sortie du pantalon, le teint rougeaud et transpirant, nous
montons lentement la petite pente herbeuse du parc. Le gazon coupé depuis peu
n’est pas encore humide et chatouille ta voûte plantaire fatiguée par un bal
endiablé.
« Tu
te rends compte chérie, j’ai paumé mon verre au moins 3 fois. A chaque fois
c’est pareil. Tiens, je vais un inventer un autocollant pour personnaliser son
verre dans les soirées. Je vais monter un site internet, ça s’appellera «
TPMV : Touche pas à mon verre », on va avoir un succès fou.
—
C’est fou c’que tu peux raconter comme conneries quand t’as picolé…
—
M’enfin c’est une super idée !
— Tu
veux que j’te dise, si tu veux pas paumé ton verre comme à chaque fois, t’as
qu’à moins boire et pis c’est tout.
—
T’as peut être raison. Bon c’est toi qui nous ramène. C’est toi l’Sam…